L’un a grandi dans le 6e arrondissement à Paris et l’autre dans la campagne de Nicolet. À l’aube de la Révolution tranquille, ils étudiaient à l’École des beaux-arts de Montréal.
Aujourd’hui, le Musée national des beaux-arts de Québec (MNBAQ) présente une rétrospective de leur cheminement artistique qui s’étend sur plus d’un demi-siècle.
Portrait du couple d’artistes qui a fait naître son alter ego COZIC à la fin des années 60, mais surtout, qui a traversé le temps grâce à sa production artistique contemporaine unique désormais maintes fois récompensée : Monic Brassard et Yvon Cozic.
Alors qu’ils étudiaient encore, la majorité du public commençait tout juste à accepter l’impressionnisme, même si des mouvements d’avant-garde comme les Automatistes de Borduas ou le groupe d’Alfred Pellan avaient déjà vu le jour. C’était le début de la Révolution tranquille et la conception de l’art était sur le point de se transformer, tout comme la société québécoise en général.
Dès le début de leur carrière artistique dans les années 60, le duo inspirant avait une vision d’un art libéré des diktats ayant comme leitmotiv la proximité avec le public. Leur pièce Jonglenouilles réalisée en 1969 avec du vinyle, de la peluche, des cordes de nylon ainsi qu’une bande sonore en est un exemple frappant.
Monic et Yvon ne se doutaient pas que leur art allait franchir le temps, même si dès le départ, leur soif créatrice était forte. « C’était le plaisir de faire, et dans notre cas le plaisir de s’associer », explique l’artiste Yvon Cozic qui a émigré de France au milieu des années 50, alors que le Québec était encore plongé dans la Grande Noirceur de Duplessis.
À leur sortie de l’École, les deux artistes décident d’unir leurs forces créatrices pour mettre au monde COZIC, leur « moyen d’expression », mais également leur « moyen de s’intégrer et de participer à la société ». « On ne voulait pas que les gens commencent à chercher qui a fait quoi au fond. On ne s’est pas caché, mais on a mis cet artiste COZIC devant nous », raconte Monic Brassard, issue d’une famille qui ne fréquentait pas d’expositions, mais où l’art était valorisé.
Même situation pour Yvon qui habitait le quartier Saint-Germain-des-Prés. L’artiste de 77 ans se rappelle aujourd’hui que son père, conscient de l’intérêt de son fils pour l’art, avait demandé à un de ces « peintres du dimanche » sur le bord de la Seine si son garçon pouvait bien venir peindre avec eux. Monic, elle, fréquentait l’atelier de son voisin, le peintre paysagiste Rodolphe Duguay qui avait une fille de son âge.
Si telles sont leurs racines, Monic et Yvon n’étaient pas destinés à reproduire des paysages.
La rétrospective tant attendue, un bémol en plus Intitulée COZIC À vous de jouer — De 1967 à aujourd’hui, la rétrospective du MNBAQ est un baptême pour le couple. Ce n’est pas qu’ils n’ont jamais exposé, bien au contraire. Yvon et Monic ont participé à plus de 300 expositions au cours de leur carrière tant au Musée d’art contemporain de Montréal qu’à la galerie Graff. C’est plutôt qu’il s’agit de leur première rétrospective. Et pas n’importe laquelle, puisque le musée présente pour la première fois une exposition d’envergure sur des artistes contemporains toujours vivants. De quoi célébrer !
Mais s’ils se considèrent très chanceux et privilégiés d’avoir le droit à une telle rétrospective, les deux artistes considèrent tout de même qu’ils ne devraient pas l’être. « C’est un peu choquant de dire qu’on est fier de ça, parce que ça devrait être normal », mentionne Monic Brassard. Pour l’artiste de 75 ans, il s’agit du devoir des musées que d’exposer des artistes vivants et qui plus est, des artistes québécois. Ceux-ci sont pourtant pris au piège, car comme Monic le fait remarquer, la mission des musées n’est pas seulement la diffusion : ils « reçoivent des subventions publiques, alors il faut qu’il soit rentable ».
Tant au niveau du grand public que dans les institutions, la fierté se fait discrète. Cette fierté de reconnaître le talent artistique d’ici. « On trouve les artistes d’ailleurs bien bons, mais on a de la difficulté à reconnaître la qualité des artistes d’ici qui, pourtant, sont très intéressants », dit Monic.
Ali Baba et les multiples oeuvres
Au fil des années, le couple d’artistes a fonctionné par série. Tissus, peluches, papiers, boîtes en carton : ils ont travaillé avec différents matériaux industriels, des matériaux souvent considérés par l’élite artistique comme « pauvres », puisqu’ils sont périssables. C’est ainsi qu’ils ont révolutionné le monde de la sculpture québécois en créant notamment des sculptures molles et des installations manipulables par le public.
Un projet particulièrement marquant pour eux ? Tous. Car chaque série, chaque recherche artistique permettait aux deux artistes d’alimenter leur soif créatrice en apportant quelque chose de différent. Le projet Code Couronne par exemple, sur lequel ils travaillent toujours, explore la codification du langage même si de prime abord, le spectateur croit être en présence d’une abstraction géométrique. Ainsi, le couple a associé une couleur à chaque lettre, créant ainsi des oeuvres circulaires qui sont, en partie, le fruit du hasard car elles forment des mots. La rétrospective était l’occasion pour eux de replonger dans toute leur production.
Leur « caverne d’Ali Baba », comme Yvon se plaît à dire, renferme des centaines d’oeuvres produites au cours des années. Certaines oeuvres dorment dans cette caverne depuis plus de 40 ans, explique Monic, car après leur exposition, personne ne les a acquises. En effet, le marché de l’art n’est pas immense au Québec, si bien que peu de musées ou même de collectionneurs, qui ont parfois de la difficulté à placer ce type d’installations contemporaines chez eux, décident d’acheter des créations.
La rétrospective a donc été l’occasion pour le couple d’entamer un processus de questionnements sur sa production. Une chose fait consensus : leur fibre créatrice est toujours bien présente. Mais leur réflexion est la suivante : comment faire pour s’exprimer encore, mais sans faire d’objets qui vont encombrer l’espace ?
La réponse à ce questionnement n’est pas encore là. Cependant, le couple, qui a obtenu le prix Paul-Émile Borduas en 2015 — la plus haute distinction en arts visuels du gouvernement du Québec —, a pris la décision que, désormais, la production sera « moins intense », et ce, malgré leur passion commune.
Le beurre, sans l’argent du beurre
Si Monic a plutôt oeuvré dans le milieu de l’enseignement des arts au Québec en faisant de la suppléance, Yvon y a travaillé plus activement, au secondaire. « Notre travail d’artistes nous a nourris émotivement, au niveau des idéaux et de la philosophie. Mais c’est vraiment l’enseignement qui nous a donné à manger tous les jours ! », mentionne Monic Brassard.
Aujourd’hui, le temps des classes est révolu pour les deux artistes qui restent tout de même impliqués dans le milieu scolaire en donnant des conférences sur l’art au Québec ou sur les conditions de travail des artistes par exemple. « On a passé l’âge! », rigole Monic.
L’enseignement dans les écoles a été l’occasion pour eux d’avoir un confort financier suffisant pour ne pas être dans l’obligation de vendre des oeuvres ou de faire des commandes pour vivre. Ainsi, ils sont restés libres dans leur choix. « Notre art n’a jamais été commercial », explique Yvon en précisant que répondre à des critères très précis de différentes commandes peut être très aliénant pour les artistes.